Depuis le début du Carême, nous avons entendu la proclamation de textes de l’Ancien Testament sur l’alliance de Dieu avec Noé, Abraham, Moïse ainsi qu’avec les déportés à Babylone qui reviennent à Jérusalem grâce à Cyrus, roi de Perse.
Aujourd’hui, nous avons l’écho du prophète Jérémie. Qui est Jérémie ? Il n’y a pas de témoignage historique qui s’impose pour faire la biographie de Jérémie. Habituellement, on distingue trois périodes de prédication de la part du prophète.
La première période s’étend jusqu’aux alentours de 605 avant Jésus-Christ. Alors que le royaume de Juda vit dans une certaine tranquillité, Jérémie annonce une catastrophe, l’arrivée d’une armée impitoyable qui va tout détruire, y compris le Temple de Jérusalem. Personne ne fait attention à Jérémie. Le peuple et les dirigeants sont persuadés que les institutions, comme le Temple de Jérusalem, sont inébranlables.
La deuxième période s’étend de 605 à 587 avant Jésus-Christ. Tout d’un coup, les prophéties de Jérémie se réalisent. Nabuchodonosor, roi de Babylone, vient avec une armée pour occuper la Judée et Jérusalem. Les dirigeants de Judée n’acceptent pas les projets de Nabuchodonosor et veulent récupérer l’indépendance. Ils font alliance avec l’Egypte et les petits Etats autour de la Judée. Une minorité de dirigeants est prête à s’accommoder de la tutelle de Babylone. Bref, on a le dilemme : la liberté ou bien l’intégration au système politique de Babylone. Jérémie est partisan de l’intégration au système politique de Babylone. Il fait partie d’un groupe de personnes influentes comme Ahiqam, protecteur puissant de Jérémie ; le fils d’Ahiqam, Guedalias, qui deviendra gouverneur de la province de Juda ; Baruch ben Nériya, un fonctionnaire qui a rang de secrétaire d’Etat, ainsi que son frère Seraya, qui deviendra chef de cantonnement dans l’administration babylonienne. Au milieu des discussions politiques en cours, Jérémie a une position extrêmement claire. Dieu n’a pas besoin d’un Etat judéen indépendant et fort, gouverné par une hiérarchie civile et par une hiérarchie religieuse. Dieu veut un peuple qui lui soit fidèle, qui réponde à sa Parole, qui pratique le droit et la justice. Dans l’empire babylonien, Dieu va créer une communauté transformée, qui ne cherche pas sa gloire comme communauté au milieu des nations, mais le bien-être de tous. Cette communauté, qui reviendra sur la terre de ses ancêtres, va connaître l’intériorisation des engagements jadis passés avec le Seigneur, à tel point qu’il ne sera plus nécessaire d’avoir une hiérarchie qui fasse le lien entre Dieu et la communauté. L’alliance faite par Dieu et les pères comme Abraham, Moïse et tous les autres, sera réalisée dans la Jérusalem céleste.
La troisième période commence après 587 avant Jésus-Christ. Jérusalem est en ruine ; le Temple est détruit ; beaucoup de gens sont déportés à Babylone. A Jérusalem, en Judée, il reste cependant des habitants. Trois tendances se dessinent parmi les habitants du pays dévasté. La première est conduite par Guedalias, qui veut reconstruire le pays sous l’égide babylonienne. Jérémie est de cette tendance. La deuxième tendance est dirigée par Yishmaël qui veut poursuivre la lutte contre Babylone en menant des actions terroristes. La troisième tendance, animée par Yohanân ben Qaréah, préfère s’expatrier en Egypte. Malgré l’opposition de Jérémie à cette démarche, il sera obligé d’accompagner ce groupe en Egypte.
Le passage de la première lecture de ce jour (Jérémie 31,31-34) est de la deuxième période. Dieu n’a pas besoin d’un Etat indépendant et fort, mais il va créer une communauté qui va intérioriser tout ce que Dieu a donné à son peuple depuis des siècles. Voici venir des jours où je conclurai avec la maison d’Israël et avec la maison de Juda une alliance nouvelle. Ce ne sera pas comme l’alliance que j’ai conclue avec leurs pères, le jour où je les ai pris par la main pour les faire sortir du pays d’Egypte : mon alliance, c’est eux qui l’ont rompue, alors que moi, j’étais leur maître. Mais voici quelle sera l’alliance que je conclurai avec la maison d’Israël quand ces jours-là seront passés. Je mettrai ma Loi au plus profond d’eux-mêmes ; je l’inscrirai sur leur cœur. Je serai leur Dieu, et ils seront mon peuple.
Vient alors la nouvelle manière de connaître Dieu. On n’aura plus besoin d’un enseignant qui instruit des ignorants ; on n’aura plus besoin de demander à quelqu’un de nous instruire sur Dieu. Tous me connaîtront, des plus petits jusqu’aux plus grands. Et viendra ensuite le pardon de tous les péchés.
D’où la pertinence du Psaume 50 :
Crée en moi un cœur pur, ô mon Dieu, Renouvelle et raffermis au fond de moi mon esprit.
C’est dans un cœur renouvelé que Dieu va mettre sa Loi ; c’est avec un cœur pur que Dieu va conclure une alliance nouvelle.
L’évangile selon saint Jean fait le récit de la prédication de Jésus à Jérusalem, ville dans laquelle il est entré assis sur un ânon, au milieu des acclamations de la foule. Beaucoup ont appris que Jésus avait ressuscité Lazare et veulent voir le thaumaturge Jésus. Parmi les multiples groupes qui circulent à Jérusalem au moment des fêtes de la Pâque, on trouve des Grecs, qui ne font pas partie de la tradition juive, mais qui sont des sympathisants. Eux aussi ont entendu parler de Jésus. Ils voudraient le voir. Ils en parlent avec Philippe, un des disciples de Jésus originaire de Bethsaïde en Galilée. Philippe en parle avec André, un des pêcheurs du lac de Tibériade, lui aussi disciple de Jésus. Ils vont dire à Jésus que des Grecs voudraient le voir.
Jésus fait alors une intervention surprenante à Philippe et André.
D’abord : l’heure est venue où le Fils de l’homme doit être glorifié. Souvenons-nous des noces de Cana ; Jésus avait dit à sa mère : mon heure n’est pas encore venue. Cette fois, çà y est. L’heure est venue d’une glorification de Jésus. A Cana, après le changement de l’eau en vin, l’évangéliste disait : les disciples de Jésus ont vu sa gloire et ils ont cru en lui.
La gloire de Jésus et la foi vont de pair.
Cette gloire est liée à la mort de Jésus : Si le grain tombé en terre ne meurt pas, il reste seul ; mais s’il meurt, il porte beaucoup de fruit.
Jésus va plus loin encore : Qui aime sa vie la perd ; qui s’en détache en ce monde la gardera pour la vie éternelle.
Nous sommes introduits dans le lien entre la mort de Jésus, le fait de se détacher de la vie en ce monde, et la vie éternelle.
Alors, que doit faire le disciple ? Si quelqu’un veut me servir, qu’il me suive ; et là où moi je suis, là aussi il sera mon serviteur.
Jésus fait voir ensuite que le disciple qui le suit, qui veut le servir en l’accompagnant jusque dans la mort, va être honoré par le Père.
Vient ensuite le correspondant de la prière de Jésus à Gethsémani. L’évangéliste Jean n’introduit pas cette prière après le lavement des pieds, mais dans l’entretien avec Philippe et André.
Maintenant, mon âme est bouleversée. Que vais-je dire ? Père sauve-moi de cette heure ? Mais non ! C’est pour cela que je suis parvenu à cette heure-ci. Père, glorifie ton nom !
La prière de Jésus n’est pas de reculer devant la passion et la mort, qui correspondent à l’heure où le Fils de l’homme est glorifié. La prière de Jésus est de demander au Père de glorifier son nom.
Réponse immédiate du Père : Alors, du ciel vint une voix qui disait : Je l’ai glorifié et je le glorifierai encore. La prière de Jésus est exaucée de manière éclatante : Dieu lui-même dit qu’il glorifie son nom.
Pour Jésus, c’est une réponse claire. L’heure où il va être glorifié est bien là.
La foule qui est présente à l’entretien de Jésus avec Philippe et André a entendu la voix qui vient du ciel. Comme toujours, les interprétations vont bon train. Certains pensent qu’il s’agit d’un coup de tonnerre ; d’autres pensent qu’il s’agit d’un ange qui a parlé à Jésus.
Jésus donne tout de suite la bonne interprétation : Ce n’est pas pour moi qu’il y a eu cette voix, mais pour vous. Que faut-il comprendre alors ? Maintenant a lieu le jugement de ce monde ; maintenant le prince de ce monde va être jeté dehors. Le mal qui a plusieurs facettes : le mensonge, le meurtre, la convoitise va être jeté dehors.
Et, au même moment, dit Jésus : quand j’aurai été élevé de terre, j’attirerai à moi tous les hommes. Cette fois, le serpent, le tentateur ne sera plus là pour éloigner l’humanité de ce pour quoi elle est créée à l’image de Dieu.
L’évangéliste explique pour nous : Jésus signifiait par là de quel genre de mort il allait mourir. Elevé de terre, cloué sur une croix.
La deuxième lecture tirée de la lettre aux Hébreux fait le récit de la prière de Jésus à Gethsémani : Le Christ, pendant les jours de sa vie dans la chair, offrit, avec un grand cri et dans les larmes, des prières et des supplications à Dieu qui pouvait le sauver de la mort, et il fut exaucé en raison de son grand respect. Bien qu’il soit le Fils, il apprit par ses souffrances l’obéissance et, conduit à sa perfection, il est devenu pour tous ceux qui lui obéissent la cause du salut éternel.
Le Christ a été exaucé ! Alors que, spontanément, nous pensons le contraire puisqu’il est mort sur une croix. Ici encore, l’Ecriture parle d’un exaucement immédiat, comme dans l’évangile de ce jour : Je l’ai glorifié, et je le glorifierai encore.
Jésus, par sa mort, est cause du salut éternel. Nous sommes délivrés du mal, du péché, de la mort, pour toujours.
La grande leçon de la lettre aux Hébreux est de nous dire que la prière de Jésus, l’obéissance de Jésus, la souffrance de Jésus sont le lieu où il est conduit à sa perfection. Etre conduit à la perfection est le même verbe que celui de devenir prêtre pour le frère de Moïse appelé Aaron. C’est une des multiples trouvailles du Nouveau Testament pour décrire le ministère éternel de Jésus comme grand-prêtre dans le sanctuaire céleste, là où, comme Ressuscité, il intercède pour nous.
Une autre manière d’exprimer ce que l’évangéliste Jean écrit : Elevé de terre, j’attirerai à moi tous les hommes.
La Préface de ce jour évoque la gloire et la croix :
Oui, l’univers entier, sauvé par la passion de ton Fils, Peut désormais confesser ta gloire : Par la puissance de la croix, Apparaît en pleine lumière Le jugement du monde La victoire du crucifié.
Aristide d’Athènes (IIème siècle)
Un intellectuel, originaire d’Athènes, portant le surnom latin de Marcianus et, comme second surnom, le nom grec d’Aristide, a adressé à l’empereur romain Hadrien (117-138) ou à son successeur Antonin le Pieux (138-161) un ouvrage apologétique en faveur de sa communauté. Nous disposons de trois versions : grecque, arménienne, syriaque. Voici la traduction française de la version syriaque : Or, les chrétiens, ô Roi, dans leurs errances pour la chercher, ont trouvé la vérité. Et ainsi que leurs livres nous l’ont fait percevoir, ceux-là sont plus proches de la vérité et de la connaissance exacte que le reste des peuples. En effet, ils connaissent Dieu, et ils croient en lui qui a fait le ciel et la terre, en qui tout est et par qui tout est ; lui qui n’a pas d’autre dieu pour compagnon ; lui dont ils ont reçu les commandements qu’ils ont inscrits sur leur conscience et qu’ils observent dans l’espérance et l’attente du monde à venir. Aristide fait allusion au texte de Jérémie sur la nouvelle alliance, sur la Loi inscrite sur le cœur.
+ Guy Harpigny,
Evêque de Tournai