Le long de la mer de Galilée, Jésus a appelé quatre pêcheurs, Simon, André, Jacques et Jean à venir à sa suite. Avec eux, désormais appelés disciples par l’évangéliste Marc, Jésus, un jour de sabbat, entre dans la synagogue de Capharnaüm, une localité du nord-ouest du la mer de Galilée. Capharnaüm est à 4 km de l’embouchure du Jourdain dans la mer. Simon Pierre y a sa maison. Jésus va faire de Capharnaüm le centre de son activité en Galilée. On pense qu’il loge dans la maison de Pierre.
La synagogue est un édifice où on dépose les livres saints, les Ecritures. Les scribes étudient et enseignent à la synagogue. La synagogue est aussi un lieu de prière communautaire, où se déroule la liturgie. Entre le lieu où on dépose les Ecritures et le lieu de la prière il y a un voile de séparation. Dans le lieu de la prière, il y a une tribune destinée à celui qui fait le commentaire des Ecritures, ce que nous appelons l’homélie. Qui fait l’homélie ? Le scribe ou la personne qui a reçu la mission de prêcher.
Jésus entre à la synagogue le jour du sabbat. Cela signifie qu’il y a une assemblée de personnes pour la prière, la liturgie. Jésus, qui n’est pas scribe, se met à enseigner. L’assemblée est frappée par son enseignement, car Jésus enseigne en homme qui a autorité, et non pas comme les scribes. Les personnes qui ne connaissent pas Jésus vont régulièrement se poser la question : mais d’où vient son autorité ?
Dans l’assemblée se trouve un homme tourmenté par un esprit impur. On peut se demander comment cet homme est entré dans la synagogue. Qui l’a autorisé à entrer ? On est dans un lieu de culte, un lieu de prière, une assemblée liturgique.
Ce n’est plus Jésus qui parle, mais l’esprit impur qui parle en « je » et en « nous » : Que nous veux-tu, Jésus de Nazareth ? Es-tu venu pour nous perdre ? Je sais qui tu es : tu es le Saint de Dieu. L’esprit impur sait qui est Jésus : le Saint de Dieu, une formule assez rare pour désigner Jésus.
Jésus réagit au quart de tour : Tais-toi ! Sors de cet homme. Il s’agit d’un exorcisme, une expulsion de l’esprit du mal. L’évangéliste Marc décrit le ministère de Jésus en deux facettes : l’enseignement et l’exorcisme. Ce sont deux formes de « parole ». Du contenu de l’enseignement, Marc ne dit rien, si ce n’est que c’est annoncé avec autorité. De l’exorcisme, Marc donne le contenu : Tais-toi ! Sors de cet homme ! C’est prononcé également avec autorité.
L’esprit provoque des convulsions de l’homme tourmenté ; l’esprit pousse un grand cri, un signe de son arrêt de mort, et il sort de l’homme désormais délivré de son tourment.
L’assemblée est frappée de stupeur et se demande : Qu’est-ce que cela veut dire ? Voilà un enseignement nouveau, donné avec autorité ! Il commande même aux esprits impurs, et ils lui obéissent. Les deux formes de parole frappent les membres de l’assemblée de stupeur. L’efficacité de l’exorcisme est reconnue de manière immédiate.
Cette stupéfaction engendre la renommée. Tout le monde va être mis au courant dans toute la région de Galilée. En d’autres termes, la personne de Jésus est connue immédiatement partout. Nous constatons que les quatre disciples qui sont entrés avec Jésus dans la synagogue sont des témoins qui n’interviennent pas.
La liturgie de ce dimanche éclaire ce passage de l’évangile de Marc par le livre du Deutéronome, proclamé en première lecture. Les Hébreux ont été délivrés de l’esclavage en Egypte, sous la conduite de Moïse. Ils vivent au désert. Ils se préparent à entrer dans le pays au-delà du Jourdain. Dieu s’adresse à Moïse pour donner la Loi comme référence pour l’avenir. Nous sommes dans la section appelée le Code des Lois : Voici les lois et les coutumes que vous veillerez à mettre en pratique, dans le pays que le Seigneur, le Dieu de tes pères, t’a donné en possession, durant tous les jours que vous vivrez sur la terre.
Parmi les coutumes des nations de ce pays figurent des pratiques abominables : il ne se trouvera chez toi personne pour faire passer par le feu son fils ou sa fille, interroger les oracles, pratiquer l’incantation, la magie, les enchantements et les charmes, recourir à la divination ou consulter les morts. Car tout homme qui fait cela est une abomination pour le Seigneur, et c’est à cause de telles abominations que le Seigneur ton Dieu dépossède les nations devant toi. Tu seras entièrement attaché au Seigneur ton Dieu. Ces nations que tu déposséderas écoutent ceux qui pratiquent l’incantation et consultent les oracles. Mais pour toi, il n’en sera pas de même, ainsi que l’a établi le Seigneur ton Dieu.
Vient alors le passage de la liturgie de ce dimanche :
Au milieu de vous, parmi vos frères, le Seigneur votre Dieu fera lever un prophète comme moi, et vous l’écouterez (…). Le Seigneur me dit alors : Je ferai se lever au milieu de leurs frères un prophète comme toi ; je mettrai dans sa bouche mes paroles, et il leur dira tout ce que je lui prescrirai. Si quelqu’un n’écoute pas les paroles que ce prophète prononcera en mon nom, moi-même je lui en demanderai compte. Mais un prophète qui aurait la présomption de dire en mon nom une parole que je ne lui aurais pas prescrite, ou qui parlerait au nom d’autres dieux, ce prophète-là mourra.
Jésus est par conséquent présenté, dans la liturgie de ce jour, comme ce prophète annoncé à Moïse. Dans une étude longue et approfondie sur Jésus, le pape Benoît XVI commence sa démonstration par l’évocation de ce passage du Deutéronome.
Dans le livre des Actes des Apôtres, Pierre et Jean montent au temple pour la prière de trois heures de l’après-midi. Pierre guérit un infirme. Beaucoup de monde vient pour voir et se pose des questions. Pierre fait alors un grand discours pour situer Jésus dans l’histoire du salut, en commençant par la figure d’Abraham. Dans ce parcours, Pierre en vient à Moïse : Moïse a dit : Le Seigneur Dieu suscitera pour vous, d’entre vos frères, un prophète tel que moi ; vous l’écouterez en tout ce qu’il vous dira. Et toute personne qui n’écoutera pas ce prophète sera donc retranchée du peuple (…). C’est pour vous que Dieu a d’abord suscité puis envoyé son Serviteur, pour vous bénir en détournant chacun de vous de ses méfaits.
Pour Pierre, Jésus est le Serviteur du Seigneur, le prophète, afin que chacun se détourne de ses méfaits. C’est ce que nous voyons dans l’exorcisme à la synagogue de Capharnaüm.
D’où le choix du Psaume 94 :
Aujourd’hui écouterez-vous la parole du Seigneur ? Ne fermez pas votre cœur comme au désert, Comme au jour de tentation et de défi, Où vos pères m’ont tenté et provoqué, Et pourtant ils avaient vu mon exploit.
Au IIème siècle de notre ère, nous trouvons des auteurs chrétiens appelés « apologistes », car ils font l’apologie, ils prennent la défense des chrétiens qui sont soupçonnés de toutes sortes de pratiques abominables. On compte parmi les apologistes : Aristide, Justin, Tatien, Athénagore et Théophile d’Antioche.
On pense que Théophile est un Syrien de formation hellénique. Certains disent qu’il est né en Mésopotamie. Il est mort sous le règne de l’empereur Commode (180-192), successeur de Marc Aurèle, dont Théophile mentionne le décès (17 mars 180). Eusèbe de Césarée nous dit que Théophile est devenu évêque d’Antioche vers 169. Théophile s’est probablement converti au christianisme alors qu’il était « païen ».
Il a rédigé un ouvrage adressé à Autolykos, une apologie en trois livres. On ne sait pas qui est Autolykos. Il représente en tout cas l’homme cultivé, non chrétien, avide de connaissances.
Le Livre III à Autolykos comprend une démonstration de l’antériorité des livres des prophètes sur les écrits païens. Théophile donne un résumé de l’histoire du monde jusqu’à la mort de Marc Aurèle. Nous avons ici la première chronologie universelle du christianisme, et même un premier commentaire chrétien du récit biblique de la création.
Dans la chronologie intervient Moïse, qui a reçu la Loi divine. Après le passage de la Mer Rouge, les Hébreux ont transgressé la Loi, au désert. Théophile écrit : Or, quand le peuple transgressa cette loi que Dieu leur avait donnée, Dieu, qui est bon et miséricordieux, ne voulut pas qu’ils fussent anéantis et, en plus de leur avoir donné la Loi, il leur envoya plus tard des prophètes parmi leurs frères pour les instruire, leur rappeler le contenu de la Loi et les amener au repentir pour qu’ils ne pèchent plus. Mais ils leur prédirent que, s’ils devaient persévérer dans leurs mauvaises actions, ils seraient soumis et livrés à toutes les royautés de la terre. Il est clair que cela leur est alors arrivé.
« Des prophètes parmi leurs frères pour les instruire » : une évocation du Deutéronome 18,15.
+ Guy Harpigny,
Evêque de Tournai